Champs libres : films

Rêve

Film d’Omar Belkacemi (Algérie, 2021)

journaliste, critique de cinéma

Tourné dans les montagnes de Kabylie, parlé en langue tamazight, Rêve (Argu) est le premier longmétrage d’Omar Belkacemi. Il a d’abord été comédien au Théâtre régional de Bejaïa (le TRB), avant de faire ses études à l’Institut maghrébin de cinéma à Tunis. Après avoir été stagiaire sur de nombreux films, dont Le Patient anglais d’Anthony Minghella (1996) et Le Tigre et la neige de Roberto Benigni (2005), il sera assistant-réalisateur sur les films de Belkacem Hadjadj et Tarik Teguia. C’est en 2015 qu’il réalise son premier court-métrage, La Vague, diffusé dans plus de 70 pays à travers le monde, avant de signer Rêve en 2021, lequel remporte le Prix « Film des deux rives » remis par un jury d’exploitants au Festival Cinemed de Montpellier, récompense destinée à aider la distribution du long-métrage méditerranéen en France. Depuis, il a été projeté dans de nombreux festivals tels que le Festival international du film oriental à Genève, le Festival du film arabe de Fameck en France, le Festival international du cinéma d’Alger et le Maghreb Film Festival à Amsterdam.

Rêve se présente comme un pamphlet contre les valeurs traditionnelles qui pèsent sur les hommes et les femmes empêchés de vivre leurs espoirs et leurs désirs les plus profonds. C’est le cas de Koukou (Kouceila Mustapha), interné en asile psychiatrique, et que son frère Mahmoud (Mohamed Lefkir), professeur de philosophie à Bejaïa et par ailleurs poète, va faire libérer et ramener au village au grand dam du Conseil des sages, composé des plus vieilles personnes de la dechra, qui veulent absolument le renvoyer en asile. Ils sont convaincus de son anormalité, affichée à leurs yeux par les cheveux longs et la guitare du  garçon, alors que ce dernier aide les femmes du village condamnées à porter sur le dos des charges de branchages et de feuillages, tâches dont les hommes se sont affranchis.

Les deux frères sont très liés et portent aide et assistance à leur mère (Latifa Aissat) et à leur soeur Jura (Djura Bouamara) qui ont à pâtir de la férule d’un père (Hocine Aït Hatrit) à l’autoritarisme aveugle. Mahmoud, de son côté, appartient avec force ténacité à une génération dont l’élan vital soutient les marginaux, les poètes et surtout les femmes opprimées qui n’ont pour refuge de vie que les chansons et les danses auxquelles elles s’adonnent lors d’une cérémonie de mariage. Le Conseil des vieux sages s’obstine dans l’objectif de faire réinterner Koukou. Apprenant la nouvelle, Mahmoud, révolté, s’oppose au conservatisme ambiant. Pendant son séjour au village, il mène un combat quotidien pour convaincre son père et les sages de l’innocence de son frère mais, face à la morale et à l’ordre établi, Mahmoud ne peut rien faire et, désespéré, il fera fuir son frère du village. La séquence est accompagnée à l’écran par les chants de la grande Taos Amrouche, dont le fameux « Ah a yema, assif itchayi » (« Oh ma mère, la crue m’a emportée »).

Selon Omar Belkacemi : « La relation entre les deux frères est d’abord une question d’amour fraternel et de complicité. Mahmoud est quelqu’un d’éveillé et conscient des enjeux sociétaux. Il sait bien que son frère Koukou dérange par son originalité, le problème se trouvant dans les mentalités archaïques de la société représentée par le comité des sages du village. Et Mahmoud n’est pas seulement solidaire avec Koukou, mais avec toutes les femmes et marginaux du village. »

Les femmes assument une grande part du combat pour la vie et sont exclues de la démocratie villageoise. Cela est bien montré à l’écran par le cinéaste, pour qui, dans les villages et les foyers, la femme est reléguée au second plan. Dans certains cas, elle est complètement exclue. « Ce n’est pas seulement dans nos villages, mais dans toutes les sociétés conservatrices. La femme, chargée d’amasser le bois, et le mari qui, lui, est libre, c’est toute l’image de ma mère et de mon frère qui m’a choquée pendant mon enfance. Cela m’a révolté, ce qui est encore le cas aujourd’hui. »

Pour Rêve, louons au passage la beauté des paysages de Kabylie et le rythme fait de plans fixes et d’une certaine économie de dialogues.

In fine, la fuite de Mahmoud et de Koukou n’est pas vue par le réalisateur comme un échec mais plutôt comme une solution : « Koukou est menacé en permanence et il doit y avoir une issue à ce danger. La vision philosophique et poétique de Mahmoud lui semble déjà comme une victoire. » D’autant que, dans une scène du film, Mahmoud déclare et déclame que « la vie sans poésie est une mort lente ».