Dossier

L'océan, thermostat du climat

L’océan joue un rôle essentiel pour absorber les surplus de chaleur et de carbone produits par les activités humaines. De l’Indonésie aux côtes françaises, il est fragilisé par l’accélération du réchauffement climatique. Avec des conséquences déjà réelles sur les populations et la biodiversité. Ces sujets sont au cœur des actions de sensibilisation de l’Aquarium tropical.

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© Pixabay

Ils réclament « une indemnisation proportionnelle aux dégâts causés et une participation au financement des mesures de protection contre les inondations ». Le 30 janvier dernier, à Zoug (Suisse) quatre Indonésiens ont déposé plainte contre le cimentier helvète Holcim. Leur île Pulau Pari, est régulièrement inondée par la montée des eaux consécutive au changement climatique. Les plaignants pointent la responsabilité du cimentier international. Il fait partie en effet des 50 entreprises émettant le plus de dioxyde de carbone au monde, émissions en partie responsables du réchauffement.

Combat du pot de terre contre le pot de fer ?

Ce genre de procès du Sud contre le Nord pourrait bien se multiplier, face à l’emballement d’un dérèglement climatique largement imputable aux pays les plus riches. Les pays côtiers sont les premiers concernés et plus encore les petits États insulaires en développement, petits et très proches du niveau de la mer. Leurs dirigeants sont d’ailleurs très actifs dans les rencontres internationales comme les COP (« Conférence des Parties » à la Convention de l’ONU sur le climat) et les GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat). « Ils ont activement soutenu l’objectif de ne pas dépasser les + 1,5° à l’horizon 2100. Il en va de leur survie », explique l’anthropologue Guigone Camus (lire son interview). Sinon, les insulaires iront grossir les rangs des réfugiés climatiques. Selon la Banque mondiale, ils pourraient être 243 millions en 2050, quittant les littoraux pour l’intérieur du pays ou des pays voisins dans leur grande majorité. On y est presque.

L'océan, un régulateur menacé

De l’île Maurice aux Samoa en passant par les Maldives, les hypothèses scientifiques sont devenues réalité. L’élévation du niveau de l’océan et l’intensification des cyclones menacent les terres cultivables et parfois l’existence physique même des habitants. Le réchauffement des eaux réduit les ressources alimentaires en raréfiant certaines espèces d’algues et de poissons. L’acidification de l’océan causée par l’augmentation du dioxyde de carbone détruit coquillages et coraux. 90 % de ces derniers seraient voués à disparaître et avec eux une relative protection des côtes contre les vagues.

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Forêt de mangroves de krabi, Krabi, Thaïlande
La mangrove, seul littoral progressant naturellement vers la mer et écosystème aux multiples vertus pour les animaux et les hommes fait partie des milieux menacés par les activités humaines.
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« Jusqu’ici l’océan joue un rôle majeur et essentiel de modération du climat mondial, comme un thermostat », résume Sabrina Speich, océanographe et spécialiste des interactions océan-climat. Les mers ont en effet la capacité d’absorber 90 % de la chaleur atmosphérique ! Celle-ci est stockée et redistribuée sur tout le globe par l’intermédiaire des courants marins. Par ailleurs, les océans stockent dans leurs profondeurs un quart du carbone produit par les activités humaines grâce à certains organismes marins comme les phytoplanctons. Hélas, l’océan est aujourd’hui fragilisé par l’augmentation des températures qui modifie sa chimie et impacte les écosystèmes marins. Cette hausse est liée à l’augmentation des gaz à effet de serre qui sont issus de la combustion des énergies fossiles. La montée des températures dilate les eaux océaniques de surface et fait fondre les glaces, occasionnant la montée des eaux. La pompe à carbone aussi menace de ralentir : le réchauffement et l’augmentation de CO2 dans les eaux océaniques exercent un stress physiologique sur le phytoplancton. Celui-ci est essentiel pour le stockage du carbone mais constitue aussi le premier maillon de la chaîne alimentaire océanique. « On voit des anomalies partout », confirme Sabrina Speich.

« Les écosystèmes marins peuvent s’habituer à des changements progressifs mais pas à ces brusques et longues variations »

Outre l’érosion et l’élévation du niveau de la mer (+ 1m d’ici 2100), les scientifiques s’inquiètent désormais de la récente multiplication des vagues de chaleur marine. Un phénomène constaté de l’Arctique à la Méditerranée où il a duré plus de deux mois l’été dernier avec des anomalies de température dépassant les 4.5°C. « Les écosystèmes marins peuvent s’habituer à des changements progressifs mais pas à ces brusques et longues variations », déplore l’océanographe. Cela nous concerne aussi. Comme la démolition en février dernier de l’immeuble appelé « Le Signal » à Soulac-sur-Mer (Gironde). Deux cent mètres le séparaient des vagues à sa construction dans les années 1960. Vingt mètres seulement après le départ forcé de ses occupants. Il s’agit de la première expropriation climatique hexagonale.

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Sacs de sable sur une plage empêchant l'érosion du sol à marée haute et les jours de tempête
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Quelles réponses ?

Que faire alors ? Chercheurs et élus explorent de nombreuses pistes. Elles sont présentées sur la Plateforme Océan & Climat (POC). Celle-ci regroupe des aquariums, des ONG, chercheurs, entreprises et collectivités françaises et internationales. La protection et la restauration des écosystèmes est une première réponse, avec la restauration des mangroves (forêts immergées) qui brisent les vagues et des forêts d’algues. La recherche scientifique explore également des pistes,de la fertilisation de l’océan pour développer le phytoplancton à son tapissage par une mousse non polluante réfléchissant les rayons du soleil... Des solutions parfois controversées qui ne résolvent pas le problème à la source. La troisième piste apparaît logique, ambitieuse et compliquée à mettre en œuvre. Elle consiste à évoluer vers des sociétés et des territoires bas carbone. Donc à limiter les émissions de gaz à effet de serre et le recours aux énergies fossiles omniprésentes dans notre vie, depuis l’essence de nos voitures jusqu’au plastique plus du tout fantastique.

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Duncanopsammia axifuga
Corail de Duncan - Duncanopsammia axifuga
Photo : Frederic Fasquel © Palais de la Porte Dorée

Une "arche de Noé" des coraux

Membre de la POC, l’Aquarium tropical fait de la vulgarisation de ces sujets une priorité tout au long de l’année. Avec l’Agence française de développement, l’Aquarium travaille notamment des fiches pédagogiques pour faire connaître au grand public l’essentiel des rapports du GIEC. Selon Charles-Édouard Fusari directeur de l’Aquarium, les missions des aquariums évoluent vers une collaboration accrue avec collègues et scientifiques sur ces sujets. Ainsi l’Aquarium tropical a-t-il rejoint le réseau du World Coral Conservatory, qui veut constituer une « arche de Noé » des coraux. L’objectif est de créer des populations de secours, tout en identifiant les facteurs qui améliorent la résistance des coraux au réchauffement et à l’acidification des océans.

L’Aquarium tropical, qui pratique déjà le bouturage de coraux, a reçu le matériel nécessaire pour permettre leur reproduction sexuée. « Celle-ci favorise la diversité génétique des coraux, à la différence du bouturage qui crée des clones », poursuit Charles-Édouard Fusari. Dans ses missions de sensibilisation, le directeur ne veut pas oublier les eaux douces. À Madagascar, l’Aquarium pilote avec habitants et ONG le programme de restauration d’une rivière. « Il n’y a pas d’espèces populaires comme les dauphins dans les eaux douces, déplore Charles-Édouard Fusari. Mais moins importantes en surface et surexploitées, elles sont tout aussi menacées par le dérèglement du climat ».

Dossier issu du Journal du Palais n°22, mars-mai 2023