Champs libres : films

La Dernière Reine

Film de Damien Ounouri et Adila Bendimerad (Algérie, France, Arabie saoudite, Taïwan, Qatar, 2022)

journaliste, critique de cinéma

La Dernière Reine, premier long-métrage de Damien Ounouri, réalisateur, et Adila Bendimerad, actrice, scénariste, réalisatrice et productrice, est une fresque historique traversée à la fois par un souffle épique et une approche intimiste. C’est à une page d’histoire plutôt méconnue que les coauteurs se sont attaqués : la période 1516, où les Espagnols occupaient la République d’Alger, alors sous le royaume de Salim Toumi (très bon Mohamed Tahar Zaoui, indication d’un casting de brillante qualité).

Le roi Salim noue une alliance avec le corsaire Aroudj, le fameux Barberousse (incarné par un superbe Dali Benssalah), qui sacrifiera un bras lors d’un affrontement d’une rare violence. Ce dernier va s’installer à Alger et y fomenter des projets de conquête du pouvoir au grand dam de la reine Zaphira, seconde épouse du roi Salim.

Le film est conçu comme une tragédie shakespearienne en cinq actes : il s’ouvre sur une première séquence en montage parallèle qui pose les fondements à la fois de l’intrigue et de l’écriture cinématographe, avec, d’un côté, une scène intimiste de personnages féminins occupés à se distraire dans un somptueux palais, et, de l’autre, une scène de bataille qui place Aroudj face aux Espagnols qu’il va vaincre et se métamorphoser en sauveur d’Alger.

Le reste du récit se déploie autour de l’intrigue incluant : une reine qui se transformera en guerrière lors des deux derniers actes, Aroudj et le roi Salim qui sera assassiné, sans doute par l’un des sbires du premier, Yayia, le fils de Zaphira, et Chagga, l’autre épouse de Salim, qui sera à l’origine d’une révolte contre Aroudj, tant elle est férue de stratégie militaire. Mais cette tentative de contre-pouvoir tournera court et elle sera, ainsi que son armée, décimée par les corsaires d’Aroudj.

La tyrannie espagnole a donc cédé le pas à une forme de dictature du corsaire Aroudj, lequel souhaite désormais asseoir son pouvoir en ré-épousant Zaphira après le décès controversé du roi Salim. Elle va tenter et nourrir le projet d’assassiner Aroudj, tout en s’opposant au patriarcat imposé par sa propre famille qui n’accepte pas de la savoir seule dans un palais et sans tuteur masculin.

La Dernière Reine résulte de la rencontre entre Adila Bendimerad et Damien Ounouri, qui ont certes consulté les quelques écrits sur la période, mais ont dû surtout tout reconstituer, qu’il s’agisse des décors magnifiques des intérieurs de palais et ceux extérieurs des lieux de bataille, filmés selon une forme de chorégraphie, et surtout des costumes plus somptueux les uns que les autres, en partant des textes de Leyla Belkaïd, une anthropologue algérienne du costume.

Damien Ounouri explique : « Il y a eu énormément de recherches iconographiques dans les musées et les livres, beaucoup d’éléments inspirés par les récits des voyageurs au Maghreb, au Moyen-Orient, à Alger, notamment sur les matériaux employés, bois, tissus, pigments, peintures… Cette direction artistique a été menée par Feriel Gasmi Issiakhem, architecte et designer dont c’est la première expérience au cinéma. Elle a su s’entourer d’artistes et d’artisans pour concrétiser et fabriquer des pièces uniques, habiller et redonner des vies à des édifices de parfois 700 ans comme la chambre de Zaphira. »

Et ce travail a pu être valorisé grâce au concours du directeur photo libanais Shadi Chaaban, qui a su brillamment allier l’intime à l’épopée.

Les dialogues produisent des sonorités différentes car, selon Adila Bendimerad, « il y a sept langues parlées dans le film puisqu’Alger était une cité cosmopolite. Il y avait le quartier hollandais, maltais, il y avait des Albanais, des Serbes, des Soudanais, des Slaves, des Corses, des esclaves islandais, des Juifs et des musulmans venus en masse d’Andalousie. On a parlé mille langues ici. On vient de ces mélanges et c’est magnifique ! Aujourd’hui, on a honte, alors que cette hybridation qui s’entend encore à travers nos patronymes, notre cuisine, nos visages est probablement notre plus grande force ! »

Concernant les biographies des deux auteurs, signalons qu’Adila Bendimerad a été actrice chez Merzak Allouache dans Le Repenti, Les Terrasses et Normal. Elle a également joué dans Kindil El Bahr de Damien Ounouri qui s’associera à elle lorsqu’elle crée sa société de production en 2011, Tajintaj, révélant les talents d’une nouvelle génération qui comprend Hassen Ferhani, Karim Moussaoui ou Amir Sidi Boumédiène. La Dernière Reine a fait sa première mondiale à la Mostra de Venise en 2022 dans la section Giornate degli artori.

Quant à Damien Ounouri, réalisateur franco-algérien basé à Alger, il a étudié la théorie du cinéma à l’université Sorbonne Nouvelle, développant sa pratique en autodidacte. Il s’est révélé avec son documentaire Fidaï (2012) coproduit par le cinéaste chinois Jia Zhang-Ke.

Malheureusement, La Dernière Reine sera le dernier film produit avec l’aide de l’État, à travers le Fonds de développement des arts, des techniques et de l’industrie cinématographiques (FDATIC) du ministère de la Culture et des Arts qui a été dissous… ce qui risque de porter un coup fatal à la génération des nouveaux auteurs algériens.