Champs libres : films

La Cour des miracles

Film de Carine May, Hakim Zouhani (France, 2022)

Journaliste, critique de cinéma

Repéré pour son court-métrage La virée à Paname (2013), le duo Hakim Zouhani et Carine May signe, avec La Cour des miracles, un film à l’énergie lumineuse, qui appuie pourtant là où ça fait mal : les failles de l’Éducation nationale, que ce soit les effets pervers de la carte scolaire devenue fantasme d’intégration ou bien l’enseignement à deux vitesses, avec des écoles pour riches et celles pour pauvres…

L’action se situe dans l’école primaire Jacques Prévert en Seine-Saint-Denis, laquelle est menacée par l’implantation à proximité d’un nouvel établissement scolaire modèle d’innovation pédagogique, qui ne manquera pas d’être adoubé par la population « bobos » qui s’installent de plus en plus fréquemment en banlieue.

Zahia (interprétée avec fougue et talent par l’étonnante Rachida Brakni), directrice engagée de l’école Jacques Prévert et ardente partisane de la mixité sociale, est harcelée par certains parents qui lui demandent des dérogations pour scolariser leur progéniture à la prochaine rentrée « au milieu des petites têtes blondes… ».

Secondée par Marion (Anaïde Rozam), jeune institutrice écolo venue de la campagne avec un projet en tête, l’école Jacques Prévert pourrait se réinventer, garder ses élèves et même en attirer de nouveaux. La Cour des miracles est un film choral qui regroupe autour de Zahia et Marion une équipe pédagogique plutôt singulière, y compris de nouveaux venus qui n’ont jamais enseigné !

C’est ainsi que va naître une école « verte » dans cette banlieue choisie à dessein par les deux co-auteurs originaires d’Aubervilliers : « Les gentils enfants d’Aubervilliers, comme l’écrivait Prévert, grandissent souvent ensemble et ne l’oublient pas. Nous avons tous les deux commencé à travailler auprès d’enfants dans différentes structures jeunesses de la ville, raconte Hakim Zouhani, puis j’ai passé plus de dix ans à l’Office municipal de la jeunesse en tant qu’animateur socio-culturel auprès de jeunes adultes où j’ai initié des ateliers autour du cinéma aux côtés de Carine May, laquelle a enseigné plus de dix ans à Aubervilliers et à La Courneuve en tant que professeure des écoles en maternelle et en élémentaire. »

La pléiade de comédiens fonctionne à merveille, notamment le rappeur Disiz (Fabrice dans le film, il va arrêter le rap et passer le concours d’instit…) et le toujours excellent Gilbert Melki, que l’on retrouve dans le rôle d’un suppléant, un poil déprimé, venu… de Pôle Emploi, mais qui participera volontiers à la réalisation du projet vert… Il forme avec Mourad Boudaoud (Seïd dans le film) un duo amical qui porte une bonne partie de l’ADN du film. « Il n’y a que dans l’Éducation nationale que des rencontres pareilles peuvent arriver », se plaît à préciser le réalisateur. Citons aussi la romancière Faïza Guène, en maman d’origine algérienne très tendue sur l’éducation de ses enfants… C’est Rachida Brakni qui a eu l’idée de la présenter à Carine May et Hakim Zouhani.

Aubervilliers est saisi en pleine mutation avec ses nouvelles résidences, sa nouvelle école, et cela scande le film comme une respiration, comme l’explique avec force détails Hakim Zouhani : « Ces échappées répondent à une réflexion que nous menons de film en film sur les espaces et la répartition des gens sur le territoire. Ici, on voulait parler notamment de la question de la carte scolaire. On nous vend un Grand Paris qui viendrait égaliser les situations des deux côtés du périphérique, mais l’arrivée des classes moyennes-supérieures dans des villes de banlieues populaires comme Aubervilliers s’accompagne très souvent de politiques ouvertement ségrégatives, avec des secteurs visant sciemment à ne pas mélanger les enfants des riches et les enfants de pauvres. Nous n’avons rien inventé. Lors de nos repérages, nous avons rencontré des responsables des affaires scolaires dans des mairies parfois très à gauche qui nous ont avoué, l’air à peine gêné, pratiquer exactement ce que nous dénoncions. Cet individualisme, ce refus de faire école commune, associés à une anxiété croissante des familles, s’expriment de manière exacerbée dans les métropoles et leurs banlieues, mais ce sont des phénomènes globaux qui en font un véritable enjeu politique. »

« Personne n’échappe à ces questionnements, poursuit de son côté Karine May. Dans notre entourage, de nombreux amis mettent leurs enfants dans le privé, pourtant nous avons tous fait nos études dans le public, à Aubervilliers, avec des profs géniaux et toute notre génération a pu mesurer combien la mixité sociale et ethnique dans les écoles avait pu lui apporter. Mais ces gens ne croient plus à la méritocratie, à la promesse d’ascension sociale jadis portées par l’Éducation nationale. À raison. Des choix politiques ont été faits, la profession s’est précarisée et comme enseignante, j’ai vu clairement l’école se déliter. Zahia, le personnage de la directrice, interprétée par Rachida Brakni, incarne ces contradictions. Elle est totalement sincère dans son engagement professionnel, porte son école à bout de bras, défend la règle républicaine qui a marché pour sa génération. L’école de Zahia est un espace où tout reste possible… et pourtant, face à l’expression du désir de son fils, elle finit par l’écouter et le laisse lui aussi quitter le navire. Comment le lui reprocher ? Elle donne déjà beaucoup de sa vie pour son métier. »

La cour de l’école – qui se verdit tout au long du film – se transforme en une cour de ferme, marquée par l’omnipotence de la nature et des animaux, que ce soit poules ou moutons, tandis qu’on découvre une Seine-Saint-Denis presque bucolique, « hors les murs ».
La bande-son douce-amère composée par Yuksek (auteur remarqué de la musique de la série En thérapie de Nakache et Toledano) évite les clichés souvent associés à la banlieue.
Mise en scène ou scénario, La Cour des miracles est remarquable à tout point de vue. Les comédiens adultes ou enfants portent et apportent chacun beaucoup à la sincérité du film et, souhaitons-le, à sa réussite !