Trois questions à

« Ces pratiques communes entre pèlerins disparaissent peu à peu »

Dans le cadre de l'exposition Lieux saints partagés, nous avons posé trois questions à l’historien Dominique Borne, président honoraire de l’Institut européen en sciences des religions.

Que souhaitez-vous montrer aux visiteurs qui vous suivront dans l’exposition ?

Dominique Borne : Lieux saints partagés présente une série de lieux, de personnages, de documents et de nombreux objets. J’ai choisi d’éclairer certains de ces lieux en faisant appel aux textes historiques ou religieux qui les évoquent et les expliquent.

Bien sûr, il y a Jérusalem. Parce qu’elle a une signification pour les trois monothéismes, signification qu’on retrouve dans leurs textes fondateurs, Jérusalem est à la fois le lieu de la rencontre et celui de l’affrontement. C’est pareil pour Hébron, en Cisjordanie. Une vidéo très frappante dans l’exposition montre un juif et un chrétien syriaque priant de part et d’autre de ce qui est, d’après la tradition, le tombeau d’Abraham. La façon dont l’Ancien testament et le Coran évoquent cette figure d’Abraham, père des trois religions monothéistes, permet de comprendre la situation d’Hébron, où cohabitent aujourd’hui une majorité palestinienne et une minorité de colons israéliens.

Pour éclairer la tradition des sept dormants d’Éphèse, ces saints hommes communs aux chrétiens et aux musulmans, je proposerai aussi de repartir vers les textes. « Les sept dormants », ce fut d’abord une légende chrétienne née des persécutions sous l’empire romain. Cette légende, rebaptisée « des gens de la caverne », fut reprise ensuite dans le Coran mais avec une autre signification spirituelle.

Des lieux évoqués dans l’exposition, certains vous ont-ils plus particulièrement marqué ?

Ce qui me marque, c’est la disparition dramatique de ce monde évoqué dans l’exposition. Les objets votifs, les talismans, les croyances populaires ont longtemps favorisé le rapprochement d’hommes et de femmes aux religions différentes. Très anciennes en Méditerranée, ces pratiques communes aux différents pèlerins disparaissent progressivement.

Vous avez notamment travaillé sur le thème des religions et de la colonisation. On voit bien dans l’exposition comment la figure de Marie a pu servir de passerelle entre les rives de la Méditerranée.

Marie est une figure iconique vénérée par les chrétiens et les musulmans, pour qui elle est la mère du prophète Jésus. Pendant la colonisation, les musulmans venaient prier dans des sanctuaires mariaux, comme Notre-Dame d’Afrique à Alger ou Notre-Dame de Santa-Cruz à Oran, sans pour autant se convertir. Avec la décolonisation, ces pratiques se sont instaurées dans certains lieux comme Notre-Dame de la Garde à Marseille. La Vierge d’Oran a été ramenée près de Nîmes. Elle a donné lieu chaque année à des rassemblements de rapatriés et de nostalgiques du passé colonial, ça ne relevait pas vraiment d’une tradition.