Trois questions à

« Tout étranger est en quelque sorte à l’image de Dieu »

Dans le cadre de l'exposition Lieux saints partagés, nous avons posé quelques questions au journaliste et animateur François Angelier, spécialiste de Louis Massignon.

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louis massignon aux sept saints
Louis Massignon aux Sept-Saints © Louis-Claude Duchesne

Comment vous êtes-vous passionné pour Louis Massignon (1883-1962) ?

François Angelier : Massignon, ce fut d’abord une photo étonnante dans un numéro de La Quinzaine littéraire. Celle d’un homme mince, avec une petite moustache, un homme aux allures de dandy Belle époque, mais habillé d’une gandoura. Vingt-cinq ans plus tard, travaillant sur Paul Claudel, je suis tombé sur les lettres que lui envoyait Massignon, d’une grande intensité spirituelle. Et j’ai découvert alors l’une des figures les plus importantes de la pensée catholique du XXe siècle, un personnage très romanesque et fascinant, le plus grand des islamologues de son temps.
 

Fascinant, pourquoi ?

Louis Massignon est fascinant car il a été à la fois un grand mystique, un grand scientifique et islamologue reconnu, et un grand acteur politique de son temps. Voilà un homme dont la vie s’est confondue avec l’histoire coloniale française : il est né à une époque où la France étoffait son empire, il est mort l’année où l’Algérie est devenue indépendante.

C’était aussi un catholique revenu très subitement à la religion, qu’il avait abandonnée après une crise mystique en Irak sur les bords du Tigre. La question de la coexistence pacifique des trois religions du Livre, par l’effet même de cette conversion personnelle, est essentielle chez lui.

Il est d’ailleurs à l’origine d’un rare pèlerinage islamo-chrétien, en Bretagne !

Il l’a fait dans une démarche abrahamique, cette figure du prophète Abraham qu’on retrouve dans les trois religions. Sur la base d’une légende commune aux chrétiens et aux musulmans, il a initié ce pèlerinage des Sept dormants, à Vieux-Marché, au tout début de la guerre d’Algérie ! Cela illustre aussi le courage, y compris physique, qui fut le sien. Vers la fin de sa vie, il manifestait en permanence et fut d’ailleurs agressé par des militants de l’Algérie française.

Il a beaucoup évoqué la question des migrants...

Oui, celle de l’hospitalité aussi est centrale. Il considérait que le Dieu oublié, mendiant l’amour, était peut-être la première personne déplacée qui soit. Tout étranger est en quelque sorte, selon lui, à l’image de Dieu. Des objets présentés montrent d’ailleurs que Massignon lui-même était un perpétuel nomade, en lui-même comme à l’extérieur. Il y a le fameux coffre du missionnaire avec des objets liturgiques, puisqu’il était devenu secrètement prêtre. Il y a aussi son chapelet musulman, tout usé.

En ce sens d’ailleurs, en croisant la question des lieux saints partagés et des migrations, l’exposition Lieux saints partagés est très massignonienne. Au-delà de Jérusalem, dont on connaît tous l’histoire, l’exposition évoque toutes ces îles méditerranéennes qui ont été, sont encore, des lieux d’échanges religieux méconnus. On n’est plus dans le pur débat théologique ni dans un syncrétisme, un bricolage entre les religions, simplement dans la nécessité, pour les hommes, de vivre ensemble. Et notamment de prier ensemble, dans des lieux communs, même si ce n’est pas le même dieu. C’est assez émouvant.