Trois questions à

« À Paris, ma couleur de peau disparait »

Trois questions à Hervé Télémaque. Né en 1937 à Port-au-Prince (Haïti), Hervé Télémaque est présenté dans l'exposition Paris et nulle part ailleurs.

Né à Haïti dans une famille aisée et francophone, vous avez étudié et commencé à travailler à New-York avant de vous installer en France en 1961. Pourquoi Paris ?

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Hervé Télémaque
Hervé Télémaque lors de l'inauguration de l'exposition "Paris et nulle part ailleurs"
Photo : Anne Volery © Palais de la Porte Dorée, septembre 2022

Ce sont les manifestations du racisme ordinaire qui m’ont conduit à quitter New-York pour Paris. Comme l’impossibilité de trouver un atelier ou d’assister au mariage d’un ami issu d’une famille très riche. Car à New-York, artistiquement parlant, tout se passait bien. Je suivais avec assiduité les cours de peinture de l’Art Students League tout en fréquentant musées et galeries.

À Paris, où je trouve un atelier vétuste rue du Faubourg Saint-Denis, ma couleur disparaît. Les Français ont cette qualité de ne pas te demander à tout bout de champ d’où tu viens. L’universalité de la culture française est englobante, elle efface cette notion d’immigré. Je ne suis plus immigré, je suis parisien. Il y a encore des vexations, mais infimes par rapport aux États-Unis. C’est à Paris que je deviens peintre.

Comment ?

Je fréquente le cercle des très nombreux artistes latino-américains qui ont fui les dictatures. C’est en exposant avec eux que je me fais remarquer, notamment par le critique américain John Ashbery et les surréalistes. En 1964, on me confie une mission de conseil sur l’exposition Mythologies quotidiennes consacrée à la figuration narrative. Pour cette exposition qui se veut une réponse à l’explosion du pop art outre-Atlantique, je passe en quelque sorte pour un connaisseur américain ! Mythologies quotidiennes a été un tournant pour moi. Le second, c’est 1973 avec le premier achat d’une de mes œuvres par un musée français.

Comment vit-on à Paris en tant qu'artiste étranger dans les années 1960 ?

Beaucoup de ces artistes sont issus de familles aisées, mais on peut vivre de presque rien dans le Paris d’alors. On peut être pauvre et être invité à la Biennale de Venise, la misère ne représente pas une barrière réelle. On vit une vie sociale riche avec des gens très différents. On fréquente les cafés de Saint-Germain-des-Prés, on s’intéresse beaucoup à la guerre d’Algérie.

On rencontre des artistes français, il n’y a pas de séparation entre eux et nous. D’ailleurs, ils sont tous anticolonialistes. Certains ont fait mai 68. Moi, je leur tendais les pavés mais je ne les jetais pas. Je savais que je n’étais pas français et que je ne devais pas me faire arrêter. Et à ceux qui disaient que de Gaulle était un dictateur, je conseillais d’aller voir à Haïti ce qu’était un vrai dictateur.

Quelle place Haïti occupe-t-elle dans vos œuvres ?

Je suis haïtien tout le temps, même quand je ne fais pas d’œuvres qui y font directement référence. Quand j’évoque le capitalisme mondial, j’évoque aussi la colonisation. En réalité, je suis un peu haïtien, un peu américain, un peu français.

Entretien réalisé pour le Journal du Palais, septembre 2022.

Voir l'interview vidéo d'Hervé Télémaque

 

Mise à jour 10/11/2022 : Hervé Télémaque est décédé le jeudi 10 novembre 2022.