Trois questions à

"De l'Asie, Dunand n'a gardé que le matériau. Il a réinventé tout le reste."

Alice Mohen et Caroline Thiphavong sont restauratrices du patrimoine. Elles sont intervenues sur La Forêt vierge et les Éléphants, les deux plus grandes pièces du salon des laques.

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Restauration des laques de Jean Dunand
Restauration des laques de Jean Dunand
Photo : Anne Volery © Palais de la Porte Dorée

En quoi consistent vos travaux de restauration ?

Ils ont été légers car ces deux tableaux étaient en assez bon état. Les trois panneaux constituant les Éléphants ont été consolidés par un restaurateur spécialisé. Les deux tableaux ont ensuite été décrassés en limitant au maximum l’apport d’eau, à laquelle la laque est sensible. Nous avons comblé les quelques lacunes visibles à la base des Éléphants. Le mélange de laque et d’argile s’est altéré avec le temps et la surface est décolorée à certains endroits. Mais ces zones après le décrassage n’ont pas nécessité d’intervention supplémentaire. C’est une marque du temps et l’idée n’est pas de refaire le tableau tel qu’il était à l’origine, tant que l’œuvre n’est pas en péril. En revanche, d’anciennes coulures indélébiles ont été atténuées par des retouches ponctuelles.

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Restauration des laques de Jean Dunand
Restauration des laques de Jean Dunand
Photo : Anne Volery © Palais de la Porte Dorée
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Restauration des laques de Jean Dunand
Restauration des laques de Jean Dunand
Photo : Anne Volery © Palais de la Porte Dorée

Colorés comme La Forêt vierge ou plus monochromes comme Les Éléphants, lisses ou rugueux, ces dix tableeaux ont des aspects très différents, on n'y retrouve pas le côté brillant de la laque. Qu'a fait Jean Dunand ?

La Forêt vierge a été réalisée selon la technique dite de Coromandel. Le support est recouvert d’une couche de préparation sur laquelle sont posées plusieurs couches de laques. Ensuite, le fond est gravé pour former les motifs qui sont rehaussés de couleurs.

Les Éléphants sont une laque arrachée, une technique inventée par Dunand. Le fond du panneau est en contreplaqué couvert de feuilles d’aluminium. L’artiste y a appliqué un mélange d’argile et de laque qu’il a arraché partiellement, avant séchage. Les motifs ont été façonnés avec des racloirs. Sculpteur de formation, Dunand enlève de la matière au lieu d’en ajouter. On aperçoit d’ailleurs à certains endroits le veinage du contreplaqué. Le côté lisse de la laque est complètement absent : mêlée à l’argile, elle devient une sorte de crépi. De l’Asie, Dunand n’a gardé que le matériau ! Il a réinventé tout le reste. C’est l’apothéose de son originalité.

La laque a-t-elle inspiré d'autres artistes français après Jean Dunand ?

Des artistes français continuent de s’intéresser à cette technique picturale mais la plupart d’entre eux utilisent des laques synthétiques. En effet, la laque végétale peut être un matériau très irritant, sa mise en œuvre est complexe et son coût onéreux.