Dans la tête de

Kei Lam

Avec Les Saveurs du béton, l’illustratrice Kei Lam raconte son enfance franco-chinoise et sa vie en banlieue. Elle a reçu en mars 2022 à Angoulême le premier Prix de la BD du Musée de l’histoire de l’immigration.

Image
photo Kei Lam

Avec Les Saveurs du béton, l’illustratrice Kei Lam raconte son enfance franco-chinoise et sa vie en banlieue. Elle a reçu en mars 2022 à Angoulême le premier Prix de la BD du Musée de l’histoire de l’immigration. Comme une star de la pop - auxquelles elle n’a jamais eu envie de ressembler, - Kei Lam fait pleurer son public. C’était dans une médiathèque, quelques semaines après la sortie des Saveurs du béton, son deuxième roman graphique.

L’illustratrice en est encore tout émue. "Plusieurs mamans d’origine immigrée étaient venues me remercier d’avoir évoqué les sacrifices de ma mère pour sa famille, une abnégation jamais mise en lumière". Avec cette chronique des années collège dans le quartier de La Noue, à Bagnolet, Kei Lam poursuit une autobiographie commencée en 2017 avec Banana Girl. Elle y explorait l’histoire de ses parents, de la Chine à Hong-Kong, puis leur arrivée en France où son père artiste peintre rêvait de gloire. Banana girl, parce que Kei Lam, née à Hong-Kong, se sentait jaune dehors, blanche dedans. Un métissage aujourd’hui revendiqué mais qu’elle a mis du temps à accepter.

Les Saveurs du béton, lauréat du premier Prix de la BD du Musée national de l’histoire de l’immigration, raconte avec humour et tendresse cette quête d’identité, entre la France et la Chine. C’est aussi une chronique de l’adolescence en banlieue, dans un de ces grands ensembles construits «comme une utopie architecturale », avant de se déliter. On vient y tourner des films-clichés, on y vit sans perspectives dans des espaces délaissés. La cité héberge un prix Nobel de littérature (Gao Xingjian, lauréat en 2000 avec La Montagne de l’âme), mais qui le sait ?

Cette vie entre la dalle, la piscine et le supermarché est rythmée par les interminables queues en préfecture. Les demandeurs de papiers sont dessinés sous la forme de moutons, affrontant des fonctionnaires-chiens féroces. «On était des numéros. J’ai voulu montrer cette violence de l’État français, même avec des étrangers modèles comme nous l’étions.» Kei Lam raconte un monde où les enfants ont la lourde responsabilité d’être des interprètes au quotidien. «Imagine- t-on la vulnérabilité de tous ces adultes qui maîtrisent mal le français ?» Pour réparer la ville et dire adieu à la précarité financière, l’écolière modèle était devenue ingénieure en aménagement de l’espace public.

«Parce que nous sommes des migrants récents, que nos parents sont arrivés dans une extrême précarité, que nous n’avons pas de culture de la revendication, c’est très compliqué de dénoncer ce racisme» Kei Lam

Le succès de Banana Girl l’a conduite à abandonner pour devenir illustratrice à plein temps. Depuis, tout s’enchaîne. Projets de presse, d’édition adultes et enfants, exposition de ses illustrations... Dans cet agenda qui déborde, elle case des rencontres avec les collégiens. «Je veux leur montrer qu’il y a des tas de modèles à qui s’identifier, des tas de métiers possibles aussi. Ils se censurent trop.» Ses cousines chinoises s’étaient rebaptisées Cherry et Sheril. Sa mère aurait aimé lui offrir un débridage des yeux. 25 ans après, la franco-chinoise constate que ses pairs sont toujours invisibles. «Parce que nous sommes des migrants récents, que nos parents sont arrivés dans une extrême précarité, que nous n’avons pas de culture de la revendication, c’est très compliqué de dénoncer ce racisme», poursuit l’illustratrice, admirative du travail de la romancière et blogueuse antiraciste Grace Ly. Au Musée national de l’histoire de l’immigration, Kei Lam avait constaté l’absence d’Asiatiques dans l’exposition BD et immigration : un siècle d’histoire(s) en 2013. Marjane Satrapi (Persepolis) l’a inspirée, en mettant en scène son histoire entre l’Iran et la France. La franco-chinoise espère à son tour faire rêver des jeunes de culture métisse, «pas pour qu’ils m’imitent, pour qu’ils osent se faire entendre.»

Article issu du Journal du Palais n°19 juin-août 2022