Dans la tête de

Polina Panassenko, entre-deux

Avec Tenir sa langue, Polina Panassenko est la lauréate du 14e Prix littéraire de la Porte Dorée. Un premier roman incisif et drôle inspiré par sa propre histoire, celle d’une enfant tiraillée entre deux langues et deux pays.

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Photo : © Patrice Normand

Pensez-vous que c’est dans votre intérêt d’avoir un prénom russe dans la société française ? En cherchant à récupérer son prénom de naissance auprès du tribunal de Bobigny, Pauline née Polina n’imagine pas le combat qui s’enclenche. L’affaire loin de se résumer aux trois petites voyelles qui différencient les deux prénoms. Elle est le point de départ de Tenir sa langue, premier roman de Polina Panassenko. Déjà lauréate du prix Femina des Lycéens, l’autrice a reçu le 25 mai le 14e  Prix Littéraire de la Porte Dorée pour cette réflexion féroce, drôle et profonde sur l’identité et l’intégration.

L’histoire d’une fillette née en URSS et qui porte le prénom d’une grand-mère juive, une Pessah devenue Polina pour éviter les persécutions. Une enfant arrivée en France à l’âge de quatre ans et renommée Pauline par son père, soucieux à nouveau de gommer toute trace d’extranéité. Mais ce n’est pas si simple...

Dans des allers-retours entre le temps présent et l’enfance, entre l’appartement de Saint-Etienne et la datcha des grands-parents restés en Russie, Polina Panassenko raconte le ballotage entre deux cultures et deux pays, symbolisé par la langue. Elle remet au jour une histoire familiale marquée par l’exil. À hauteur d’enfant, dans une langue inventive, elle raconte les étonnements et les injonctions contradictoires faites à la petite fille. Sommée de s’intégrer à l’école française et d’apprivoiser la langue jusqu’à perdre son accent, elle cache sa francophonie lors de ses séjours d’été chez les grands-parents. Quand on sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l’enlève, écrit Polina Panassenko. La mère y veille en intraitable garde-frontière : Elle traque les fugitifs français hébergés par mon russe. Ils passent dos courbé, tête dans les épaules se glissent sous la barrière. Ils s’installent avec les russes, parfois mêmes copulent, jusqu’à ce que ma mère les attrape.

Polina Panassenko, par ailleurs comédienne et traductrice a mis cinq ans à écrire ce livre inspiré par sa propre expérience de récupération de son prénom. J’ai été fascinée de voir au tribunal l’inquiétude, la peur que pouvait susciter le simple changement d’une voyelle finale. Derrière les souvenirs d’enfance pointe une réflexion sur l’exil : que doit-on à son pays d’accueil et jusqu’à quel point faut-il prouver son intégration ? Que doit-on au pays que l’on quitte ? Le roman critique aussi un État français devenu frileux face à la différence. [La procureure] a peur que je la féconde, ouais. Elle a peur que je lui mette ma langue dans la sienne et de ce que ça ferait.

La République dit qu’il faut choisir. Fromage ou dessert. Russie ou France. La petite Polina voudrait fromage et dessert. À l’image de son personnage qui crée des mots mêlant le français et le russe, Polina Panassenko revendique le métissage. Bien qu’elle n’aime pas le mot (trop abstrait quand on l’emploie sans le définir), son roman parle d’identité. Des identités. Celles qu’on reçoit à la naissance, celles qu’on se construit, celles qu’on nous octroie. Je crois qu’on est plusieurs choses à la fois et successivement, conclut l’autrice. On me demande souvent si je me sens plus russe ou plus française. Ce livre revendique la possibilité d’habiter l’entre-deux.