Trois questions à

« L’histoire de chaque religion est double, à la fois religieuse et politique »

Dans le cadre de l'exposition Lieux saints partagés, nous avons posé trois questions à Jacques Huntzinger, ancien ambassadeur de France en Israël.

Que voulez-vous raconter aux visiteurs ?

Jacques Huntzinger : Ma spécialité, c’est la géopolitique des religions. Je pense qu’on ne peut comprendre ces expériences de coexistence des monothéismes qu’en élargissant le regard sur leur histoire et les rapports qu’elles entretiennent. Je m’attacherai donc à montrer comment chaque religion s’inscrit dans une histoire, un peuple, un territoire. L’histoire de chaque religion est double, à la fois religieuse et politique.

Les trois religions, nées dans la même partie du monde, s’interrogent à partir de leurs relations. Le christianisme s’est construit en opposition au judaïsme. Sept siècles après, Mahomet a voulu sortir son peuple du paganisme avec un monothéisme au moins équivalent aux deux autres. L’islam s’est développé d’abord comme leur synthèse puis, face à leur résistance, s’est construite contre, en transformant certains de leurs éléments fondamentaux. Ce qu’a résumé l’islamologue Rachid Benzine quand il dit que Mahomet n’a rien inventé mais a tout remodelé, il a fait du neuf à partir du vieux.

Cela explique qu’il y ait des figures communes, comme Jésus - pour l’islam l’un des prophètes du Coran, avant le dernier que fut Mahomet -, ou Marie. C’est la dévotion mariale par exemple qui a conduit certains musulmans à aller prier dans des églises. Des églises dont certaines étaient d’ailleurs d’anciennes mosquées, reconverties par les colons français au Maghreb.

 

L’exposition montre, en Israël, des situations de coexistence ou, au contraire, de conflit très contrastées...

Il y a bien sûr Jérusalem, lieu de conflit, car l’histoire en a fait un lieu de compétition entre les religions, surtout le judaïsme et l’islam. En voulant séduire les juifs, Mahomet s’est intéressé à Jérusalem, si essentielle pour le peuple hébreu. Sur l’esplanade où était situé l’ancien temple juif, furent construits deux lieux saints pour les musulmans, le Dôme du rocher, et la mosquée Al-Aqsa.

Le mont Carmel, où les trois religions vénèrent le prophète Elie, n’a jamais posé de problème car, à la différence de Jérusalem, ce n’était un enjeu politique pour personne. On a aussi la situation intermédiaire d’Hébron, objet du seul accord passé entre Yasser Arafat et Benyamin Netanyahou en janvier 1997. Cette ville et son Tombeau des patriarches étaient revendiqués à la fois par les colons juifs radicaux et l’Autorité palestinienne. Celle-ci s’est vue confier Hébron, mais avec une protection du secteur du Tombeau par l’armée israélienne et le maintien des colons. Cela fonctionne tant bien que mal.

L’exposition dévoile des lieux moins connus de coexistence, sur des îles méditerranéennes. Les connaissez-vous ?

Je connais Djerba, présentée dans l’exposition, où j’ai accompagné des juifs tunisiens qui vont tous les ans en pèlerinage à la synagogue de la Ghriba. Un pèlerinage qui a d’ailleurs été réorganisé et valorisé par le président tunisien Ben Ali pour prouver la tolérance de la Tunisie, en réaction à l’attentat d’Al-Qaïda qui a frappé la synagogue en 2002. Il y a aussi Lampedusa, un échec de la rencontre des cultures, un symbole tragique des tentatives de migration qui ne sont gérées ni par le Nord, ni par le Sud.