Ça bouge à l'Aquarium

Les aventuriers du poisson perdu

Avec Il faut sauver le Joba Mena : Enquête à Madagascar, l’Aquarium tropical raconte la mobilisation qui a permis le sauvetage d’un poisson malgache en danger critique d’extinction. Ludique et immersive, l’exposition met en lumière dans un univers de bande dessinée la fragilité des milieux d’eau douce et le travail de conservation des aquariums.

Image
Expédition à Madagascar
Expédition à Madagascar
© Charles-Édouard Fursari - EPPPD
Poisson magnifiquement moche cherche femelle désespérément

Quand il lance en 2012 cette annonce sur les ondes de la télé publique britannique, Brian Zimmerman, conservateur de l’Aquarium du Zoo de Londres, est loin d’imaginer les conséquences qui vont en découler. Des articles dans plus de 100 pays, des centaines de réponses plus ou moins fantaisistes, un voyage à Madagascar, quatre jours de brousse sur les traces d’un poisson présumé disparu... Cette folle aventure de préservation d’une espèce menacée est au cœur de l'exposition de l’Aquarium tropical Il faut sauver le Joba Mena : Enquête à Madagascar.

Sur une idée du scénographe François Payet, les visiteurs sont invités à rejoindre cette mission de sauvetage aux côtés de Brian Zimmerman, dans une scénographie immersive et ludique à l’esthétique de bande dessinée d’aventure. Les illustrations ont été confiées au dessinateur Singeon qui signe aussi une bande dessinée prolongeant cette aventure avec la dernière mission de l’Aquarium tropical Comme un poisson hors de l’eau (Éditions Dargaud).

Quatre Joba Mena pour sauver toute une espèce !

Image
Panneau illustration de Singeon
Exposition "Il faut sauver le Joba Mena : enquête à Madagascar"
© Palais de la Porte Dorée

Tout commence donc au Zoo de Londres, dans le bureau de Brian Zimmerman. « Lors d’un inventaire, nous avons constaté qu’il n’y avait plus que quatre Joba Mena en captivité dans les zoos de Londres et de Berlin. Et l’IUCN (International Union for Conservation of Nature) considérait l’espèce comme éteinte dans son pays d’origine, Madagascar » explique ce spécialiste des poissons d’eau douce.
Quand il reçoit la preuve qu’il reste des Joba Mena au nord-est de la Grande île, Brian Zimmerman n’hésite pas longtemps.

Il me semblait nécessaire de faire tout ce que je pouvais pour sauver ce poisson en danger critique d’extinction

Brian Zimmerman
Image
Vue de l'exposition Il faut sauver le Joba Mena, Jeep sur fond peint
Exposition "Il faut sauver le Joba Mena : enquête à Madagascar"
Photo : Cyril Zannettacci © Palais de la Porte Dorée

Direction Madagascar : une excursion scientifique

Image
Expédition à Madagascar pour le Joba Mena
La route vers Marotandrano et la rivière Amboaboa
© Palais de la Porte Dorée

Sur le tarmac de l’aéroport d’Antananarivo la capitale, dans un vrai 4X4, planches de bande dessinée et vidéos immersives racontent le périple du chercheur, la brousse malgache, l’arrivée à la rivière Amboaboa, la pêche et le transport des Joba Mena pour les élever en captivité... L’exposition reconstitue l’ensemble du voyage des scientifiques, la collaboration avec associations et populations locales. Tsilavina Ravelomanana a guidé Brian Zimmerman sur place. Ichtyologiste (spécialiste des poissons) à l’Université d’Antananarivo, il a constaté la raréfaction de nombreuses espèces sur son île.

Comme le rappelle le prologue de l’exposition écrit par l’auteur David Wahl, 64 % des espèces de poissons d’eau douce (et 90 % de toutes les espèces animales et végétales !) sont endémiques à Madagascar. C’est-à-dire qu’on ne les trouve nulle part ailleurs.

Image
Voyage à Madagascar
Madagascar
© Palais de la Porte Dorée
Image
Voyage à Madagascar
Madagascar
© Palais de la Porte Dorée

Protéger un écosystème fragile

Image
Joba Mena
Joba Mena "Ptychochromis insolitus" mâle nageant au-dessus de deux femelles.
Photo : Frederic Fasquel © Palais de la Porte Dorée

Pourquoi sauver ce poisson ?

Le Joba Mena, long d’environ 25 cm, de couleur grise avec des nageoires rouges pour le mâle, Ptychochromis insolitus, de la famille des Cichlidés, vit dans les eaux turbides (troubles) de la rivière Amboaboa dans laquelle il a trouvé refuge. Pourquoi une telle mobilisation pour un poisson si peu répandu et d’apparence anodine ? Charles-Edouard Fusari, directeur de l’Aquarium tropical et ancien collaborateur de Brian Zimmerman au Zoo de Londres répond : « Plus il existe d’espèces, plus un écosystème est résilient. S’il n’y a qu’une espèce de blé dans vos champs et qu’une maladie s’y attaque spécifiquement, vous n’aurez plus de blé. Sauver ce poisson, c’est déjà créer un monde plus sain pour les hommes comme pour la nature »

Image
Expédition à Madagascar
Madagascar
© Palais de la Porte Dorée

Le rôle de l'Aquarium tropical

En proposant cette exposition, le directeur de l’Aquarium tropical souhaitait à la fois valoriser le travail des chercheurs et mettre en lumière les écosystèmes d’eau douce plus menacés et pourtant bien moins médiatisés que les océans. « Ces eaux n’ont pas la transparence des eaux de mer, elles n’ont pas leur profusion de couleurs, pas d’animaux emblématiques comme le dauphin ou la baleine », admet Brian Zimmerman. C’est pourquoi, dans le cadre de leurs missions croissantes de conservation des espèces, les aquariums ont un devoir.

Il nous faut réinventer un imaginaire pour ces milieux qui sont indispensables aux hommes

Charles-Edouard Fusari

Le saviez-vous ?

Des eaux douces qui nourrissent plus de 200 millions d'humains

La biodiversité des eaux douces, qui représentent à peine 1 % de la surface du globe, déclinerait deux fois plus vite que celle des océans. C’est l’une des conclusions inquiétantes d’un rapport rédigé en 2021 par un collectif de 16 organisations de conservation (The World’s forgotten fishes). Selon celui-ci, un tiers des espèces de poissons d’eau douce est menacé de disparition dans le monde. Les vertébrés ont même vu leur nombre baisser de 84 % depuis les années 1970.

Surexploitation des cours d’eau, pollution, barrages trop nombreux, surpêche, introduction d’espèces invasives, changement climatique, trafic d’espèces sauvages... Les menaces qui pèsent sur les écosystèmes d’eau douce sont multiples. Si les problèmes sont connus, les solutions le sont aussi : réduire la pollution, restaurer la circulation naturelle des cours d’eau et les connexions entre eux, freiner la surpêche, protéger les zones humides, contrôler les espèces invasives... Autant de mesures qui contribueraient à préserver ces milieux naturels indispensables aux hommes. D’après les estimations ils nourrissent 200 millions de personnes en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud. Et fournissent des emplois et des moyens de subsistance à 60 millions d’humains.

Image
Madagascar
Madagascar
© Palais de la Porte Dorée
Image
Brian Zimmerman et Charles-Edouard Fusari devant l'affiche de l'exposition Il faut sauver le Joba Mena : Enquête à Madagascra
Brian Zimmerman, directeur science et conservation au Zoo de Bristol et Charles-Edouard Fusari, directeur de l’Aquarium tropical, commissaires de l'exposition "Il faut sauver le Joba Mena : enquête à Madagascar".
Photo : Cyril Zannettacci © Palais de la Porte Dorée

Grâce à la mobilisation des différents acteurs, le Joba Mena a été sauvé

Des spécimens sont reproduits à Madagascar et dans des aquariums de par le monde, dont l’Aquarium tropical, en attendant une réintroduction dans son milieu naturel. Le projet a donné lieu depuis 2013 à un programme plus global de restauration de l’écosystème de la rivière Amboaboa. Aujourd’hui coordonné par l’Aquarium tropical, Fish Net Madagascar associe des laboratoires universitaires et des ONG malgaches.

Pour leur dernière expédition, Charles-Edouard Fusari et des aquariologistes sont partis sur la Grande île. « Nous avons cherché à sauver deux nouvelles espèces de poissons endémiques, poursuit-il. L’enjeu est d’établir des populations dites de secours, de les déplacer si besoin sur un site plus adapté et à long terme, de restaurer le milieu naturel avec les communautés locales ».

Le récit immersif de Singeon

En novembre 2022, le dessinateur Singeon a accompagné l’équipe. Son carnet de voyages, ses étonnements et ses doutes ont pris la forme d’une bande dessinée qui prolonge l’exposition. Au lendemain de l’inauguration, Brian Zimmerman se félicitait que celle-ci mette en lumière la complexité du travail de conservation tout en « célébrant une victoire ».

Image
Exposition Il faut sauver le Joba Mena
Exposition "Il faut sauver le Joba Mena : enquête à Madagascar"
Photo : Cyril Zannettacci © Palais de la Porte Dorée

De nombreux autres projets de ce type méritent d’être menés à Madagascar. J’espère que cette exposition convaincra aussi des bailleurs de fonds et des chercheurs qui nous rejoindront.

Tsilavina Ravelomanana